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L'accès aux dossiers--A la protection de l'enfance---

Du dossier administratif au dossier judiciaire

La loi n˚ 78-753 du 17 juillet 1978 (modifiée en 2000 puis en 2005) a constitué une grande avancée dans le droit de tout citoyen d'accéder aux informations le concernant détenues par une administration ou un service privé assurant la gestion d'un service public. Cette loi a inversé le principe : jusque là, le secret était de règle et la communication l'exception ; désormais la communication est la règle et le secret l'exception, dans les cas strictement fixés à l'article 6 de cette loi [3] Les extraits essentiels de la loi du 17 juillet 1978... [. C'est à partir de ce texte que les parents d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance, comme les enfants eux-mêmes, peuvent consulter leur dossier et même en obtenir une copie (art. 4).


Toutefois les familles qui demandent aujourd'hui à consulter le dossier administratif pour un enfant confié à l'ASE par le juge des enfants se voient de plus en plus souvent opposer un refus au motif que suite à la saisine ou à l'intervention du juge, le dossier serait devenu « judiciaire », seulement consultable au tribunal dans les conditions de l'article 1187 code de procédure civile.

Ils se tournent donc vers le tribunal qui leur répond : « mais non, ce sera consultable seulement lorsqu'une audience sera programmée ». Mais comme ils sont convoqués au mieux 15 jours avant l'audience, le plus souvent moins, et que les audiences peuvent avoir lieu une fois par an, voire deux ans, voire même plus (art 375 CC nouveau), que la consultation ne peut avoir lieu qu'aux jours et heures fixées par le juge des enfants , ils ne peuvent pas toujours exercer ce droit en raison de leur emploi du temps et des disponibilités du greffe.


Ainsi des parents restent dans l'ignorance de « ce qu'on leur reproche » pour reprendre leur vocabulaire.

I - Pour ce qui est du dossier administratif


L'administration s'appuie pour fonder son refus sur l'article 6, I de la loi précitée du 17 juillet 1978 qui dispose : « I. - Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :


au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ».


Cette interprétation extensive est un abus de droit manifeste. La communication est le principe (applicable même sans texte, disait la jurisprudence) et la non-communication l'exception.


En conséquence, les causes de non-communication sont d'application stricte.


Il convient de s'attarder sur les mots « porterait atteinte au déroulement » : il n'est pas dit qu'il n'y a pas de communication quand une procédure est engagée mais seulement quand cette communication porterait atteinte à son déroulement, à charge de preuve pour l'administration, car on ne voit pas pourquoi cette atteinte serait automatique.

L'exception s'applique donc quand il y a une atteinte (par exemple au secret de l'instruction dans une instance pénale, quand il y a risque de faire disparaître des preuves...). Au Conseil général donc de prouver qu'il y a une atteinte au cas par cas. Il ne peut considérer que d'une manière générale toute communication pendant la procédure porterait atteinte à la procédure elle-même. Il doit prouver qu'elle porterait atteinte à son bon déroulement, c'est-à-dire à sa sérénité au point qu'il soit nécessaire de faire obstacle à un droit. Une interprétation large porterait atteinte à un droit fondamental et serait donc anticonstitutionnelle. N'oublions pas qu'avant le décret du 15 mars 2002 , Décret n˚ 2002-361 du 15 mars 2002 modifiant le nouveau... la France avait été condamnée par la cour européenne des droits de l'Homme il y a une douzaine d'années parce qu'elle refusait les communications de dossiers et la Grande-Bretagne et puis la France dans les hypothèses d'assistance éducative . Évitons qu'elle le soit de nouveau par une lecture fantaisiste de la loi qui reviendrait à faire obstacle au principe de communication avec la découverte de cet alinéa providentiel.

Même dans ce cas, ceci implique que seules les pièces directement liées à une procédure engagée, c'est-à-dire en cours, et dont il apparaît que la communication pourrait « porter atteinte au déroulement de la procédure » ne sont pas communicables. Cela concerne certaines transmissions au procureur ou au juge. Les autres pièces administratives (rapports sociaux, évaluations, etc.) sont communicables. Et l'ensemble devient de toutes façons communicable dès lors que le jugement est prononcé, même si le mineur est confié à l'ASE.


Sur ce point, la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a donné un avis au Conseil de Paris (DASES) le 20 décembre 2001 : « La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 20 décembre 2001 votre demande de conseil relative, d'une part, au caractère communicable des signalements et rapports d'évaluation transmis au juge des enfants dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative, et, d'autre part, de l'interprétation de l'article 1187 alinéa 2 du code de procédure civile une fois que le dossier est clos.


Concernant les signalements et rapports d'évaluation des enfants en danger transmis au juge des enfants dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative, la commission a distingué deux cas de figure.

Si les documents sont élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'intervention d'un juge, ce sont par nature des documents administratifs qui entrent dans le champ de la loi du 17 juillet 1978, modifiée par la loi du 12 avril 2000, et même s'ils sont transmis au juge, ils ne perdent pas leur caractère administratif. Toutefois, la commission émet un avis défavorable à leur communication dès lors que cette communication est susceptible d'interférer sur le déroulement de la procédure, au sens de l'article 6 de la loi précitée. En revanche, dès que l'autorité judiciaire a cessé d'intervenir, les règles prévues par la loi du 17 juillet 1978 leur sont de nouveau applicables. En vertu de l'article 6-II de cette loi, ces documents nominatifs ne peuvent alors être communiqués qu'aux seules personnes concernées.


S'agissant de l'interprétation de l'article 1187 alinéa 2 du code de procédure civile, la commission ne peut que décliner sa compétence ».


Il y a volonté de clarifier, mais cet avis de la CADA est très flou et trop peu explicite, car on ne sait pas à partir de quand l'autorité judiciaire est saisie : le signalement ? Ou la saisine du juge des enfants par le procureur de la République ?

on ne sait pas non plus quand « l'autorité judiciaire a cessé d'intervenir », car cette intervention peut durer toute la minorité de l'enfant (pire ! toute la minorité du dernier des enfants) ;

par ailleurs en donnant de façon générale « un avis défavorable à leur communication dès lors que cette communication est susceptible d'interférer sur le déroulement de la procédure », la CADA ajoute à la loi qui limite cette interdiction aux cas où cette transmission « porterait atteinte » c'est à dire nuirait au déroulement.

Cet avis ne devrait logiquement pas être suivi par les tribunaux administratifs et le Conseil d'État.


Il n'est en effet pas pensable dans un État démocratique de priver aussi longtemps des citoyens de leurs droits fondamentaux.

Le raccourci est trop rapide : il part de l'idée que toute communication porterait atteinte à la procédure, bref que tous les parents deviendraient dangereux en lisant leur dossier.


Cette crainte de voir les parents s'emparer des informations les concernant est également en opposition avec la pratique qui s'est généralisée chez les travailleurs sociaux de lire le rapport aux parents. Mais il est évident que, l'émotion aidant, ceux-ci ne peuvent pas tout retenir. Le refus de communication des dossiers semble témoigner d'un certain malaise et de manque de confiance en soi de la part du terrain dans l'écriture des rapports. Tous les parents qui consultent le rapport concernant leurs liens avec leur enfant ne sont pas des « procéduriers » ; il est difficile de demander à des parents de s'investir à l'égard de leur enfant et en même temps de les écarter des écrits qui les concernent.


Toutefois, la jurisprudence du Conseil d'État considère que c'est à bon droit que le tribunal administratif supprime les passages injurieux d'un dossier , et la loi du 12 avril 2000 précise « L'autorité administrative n'est pas tenue d'accuser réception des demandes abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique » , Loi n˚ 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits... .

On ne peut refuser la communication d'un dossier d'aide sociale à l'enfance « parce qu'il serait judiciaire », cette expression ne veut absolument rien dire. Le dossier détenu par l'administration reste administratif quand le juge est saisi. Il obéit donc dans son ensemble à la règle de communication des documents administratifs. Le dossier judiciaire est celui qui est constitué et détenu au tribunal. Bien entendu, en cas d'agressions sexuelles ou autres horreurs, l'administration doit éviter de communiquer trop rapidement le dossier pour ne pas empêcher le procureur de la République de faire son travail. Mais c'est bien évidemment l'exception. Et cela suppose en retour que le procureur fasse diligence.


Il convient donc de vérifier pour refuser de communiquer telle ou telle pièce :

qu'on est bien dans le cadre d'une procédure engagée, c'est-à-dire dans la phase préparatoire à une décision : lorsque la décision est rendue, la question ne se pose plus, l'ensemble du dossier est consultable ;

et que cette communication porterait atteinte au déroulement de cette procédure, ce qui ne se présume pas, mais, s'agissant de l'atteinte à un droit, doit pouvoir se prouver.


En pratique l'administration ne peut refuser la communication d'un dossier dont la justice est saisie que s'il s'agit de maltraitances lourdes perpétrées par un parent ou tuteur (ou un tiers protégé par eux) qui risqueraient, s'ils savaient ce qui leur est reproché, soit de supprimer les preuves (i.e. faire pression sur l'enfant), soit de se venger encore plus violemment sur lui.

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En cas de refus et hors ces deux hypothèses, un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif puis éventuellement le Conseil d'État s'impose immédiatement, après l'avis de la CADA.

Le dossier judiciaire

L'article 1187 du code de procédure civile, telle qu'il ressort du décret du 15 mars 2002 , Décret n˚ 2002-361 du 15 mars 2002 modifiant le nouveau... , dispose : « Dès l'avis d'ouverture de la procédure, le dossier peut être consulté au secrétariat greffe, jusqu'à la veille de l'audition ou de l'audience, par l'avocat du mineur et celui de son père, de sa mère, de son tuteur, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié. L'avocat peut se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier pour l'usage exclusif de la procédure d'assistance éducative. Il ne peut transmettre les copies ainsi obtenues ou la reproduction de ces pièces à son client.


Le dossier peut également être consulté, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, par le père, la mère, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l'enfant a été confié et par le mineur capable de discernement, jusqu'à la veille de l'audition ou de l'audience ».


Cette disposition est un progrès par rapport à l'opacité antérieure , La cour de cassation considérait que, « après avoir... qui avait entraîné la condamnation de la France par la cour européenne des droits de l'Homme . L'article 6, paragraphe 1 de la CEDH, signée par la France le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 mai 1974, garantit à toute personne le droit à un procès équitable. Ce droit implique « par principe, pour une partie, la faculté de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l'autre, ainsi que de les discuter » ] .




La doctrine a regretté que cette réforme ne soit pas allée plus loin. Pour certains tout d'abord, la consultation du dossier sans l'aide d'un avocat ne serait qu'une « illusion de contradictoire » , La contradiction et la procédure d'assistance... , car consultation ne signifie pas communication. Il est par exemple critiqué que cette consultation ne puisse être faite qu'aux jours et heures fixés par le juge des enfants La réforme imparfaite et que ce déplacement au tribunal « lieu où ils sont souvent très mal à l'aise » , freine bien des parents.
En outre, les conditions même de la consultation en termes d'espace adéquat, de temps octroyé, de surveillance éventuelle, d'horaires imposés, etc. ne laissent pas d'interroger . Rien n'est également prévu pour prévenir les parents si une pièce supplémentaire est apportée au dossier postérieurement à sa consultation , Réforme de la procédure d'assistance éducative :... , cette hypothèse n'étant pas seulement théorique lorsqu'on sait que les travailleurs sociaux ont parfois des pratiques peu respectueuses du contradictoire en adressant par exemple leurs rapports via télécopie in extremis .


On regrettera aussi, avec Michel Huyette, que les parents ne puissent avoir copie des éléments qu'ils souhaitent. Ils ne peuvent les relire, consulter un ami ou un spécialiste, bref être en mesure d'organiser véritablement leur défense au sens de l'article 15 du code de procédure civile Art. 15 CPC : « Les parties doivent se faire connaître... .


Malgré cela, ce timide et encore insuffisant progrès dans le droit n'est pas toujours appliqué dans les faits. Des familles qui se sont vues refuser l'accès au dossier administratif au motif qu'il serait devenu judiciaire, se voient refuser cet accès au tribunal au motif qu'on n'est pas à la veille d'une audience.


Pourtant aucune disposition légale ni règlementaire ne prévoit que le dossier ne soit consultable que lorsqu'une audience est convoquée. Au contraire, l'art. 1187 précise : « Dès l'avis d'ouverture de la procédure (...) ». En effet, contrairement à d'autres juridictions, le juge des enfants reste saisi tant que la mesure se poursuit et que ses effets perdurent. Des rapports, des notes, des compte-rendu d'expertise peuvent s'ajouter au dossier initial, sans compter que beaucoup n'ont même pas eu accès à ce dossier initial.


Un refus est cependant très souvent opposé. Cela n'est pas acceptable et ne doit pas être accepté. Il convient dès lors :

d'abord de faire intervenir un avocat auprès du juge, le refus étant généralement opposé un peu rapidement par le greffe ;

de le saisir officiellement par écrit de façon à pouvoir exercer un recours devant la cour d'appel, le refus étant le plus souvent téléphonique ;

en cas de difficulté persistante, de saisir le Président du tribunal ou le parquet devant ce déni de Justice ;

on peut évidemment demander une décision modificative, pour provoquer une nouvelle audience...

... mais il convient de n'accepter en aucun cas cette atteinte aux droits de l'Homme.


CONCLUSION

L'accès au dossier a été acquis en droit depuis plusieurs années. Il faut maintenant le concrétiser dans les pratiques et le combat n'est pas terminé.


Pour ce qui est du dossier détenu par l'administration, il convient d'exiger sa communication sauf preuve que celle-ci « porterait atteinte à une procédure engagée devant les juridictions », ce qui ne peut être qu'exceptionnel. Le caractère judiciaire d'un dossier administratif est un non-sens et ne figure dans aucun texte de loi.


Un dossier ne peut se « judiciariser » par la magie d'une transmission au juge, sauf à méconnaître la séparation des pouvoirs. La loi précise bien : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents élaborés ou détenus par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées de la gestion d'un service public, dans le cadre de leur mission de service public »

Un dossier administratif reste donc administratif et soumis comme tel à la communication dans les conditions de la loi de 1978.


Quand les administrations auront des dossiers judiciaires et les tribunaux des dossiers administratifs ce sera la fin de la séparation des pouvoirs et « tout pays qui méconnaît la séparation des pouvoirs n'est pas une démocratie » affirmait Montesquieu.


Et le constat est une fois de plus affligeant de voir que les services chargés de la protection des personnes travaillent en sens contraire des droits de l'Homme.


Lorsque les parents même jugés « mauvais » seront des citoyens, avec tous les droits des citoyens, peut-être retrouveront-ils la dignité ? Car enfin, de quoi a-t-on peur en transmettant un rapport social alors-même que l'habitude est heureusement prise de le lire aux parents avant l'envoi ?

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