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Cent ans de répressions des violences à enfants

 Cent Ans de Répression Des Violences à Enfants.

 L'Association pour l'histoire de l'éducation surveillée et de la protection judiciaire des mineurs et par le Centre national de formation et d'études de Vaucresson, rassemble une douzaine de communications coordonnées par Jean-Jacques Yvorel, organisateur d'une journée d'étude sur ce thème au printemps 1998. L'objectif était de faire le point sur le centenaire de la loi de 1898 relative à la répression des violences et voies de fait à enfants. Le pari a été d'autant mieux tenu que la chronologie a dépassé le seul cadre de l'année 1898 pour inscrire le thème dans une histoire de longue durée. Jean-Jacques Yvorel lui-même rappelle, dans un riche article introductif, comment une vaste enquête fut menée en 1891 par le ministère pour connaître l'état de la question : quels avaient été, dans tous les ressorts de cours d'appel, les cas de violences et de voies de fait exercées sur les enfants par leurs ascendants pour les années 1887-1891. Plus de 600 affaires, dont l'immense majorité relève de la correctionnelle, sont ainsi recensées, permettant à Jean-Jacques Yvorel d'envisager un traitement statistique de la question. Les limites de cette enquête sont évidentes : ni les domestiques, ni les personnes extérieures à la famille (éducateurs au sens large) n'y apparaissent. Elle se montre pourtant passionnante, dans la mesure où elle permet une confirmation ou à l'inverse une invalidation des clichés habituels concernant les auteurs de ces violences, mais aussi leurs victimes. En croisant les paramètres, on affine ainsi la perception de ce phénomène : par exemple, les femmes martyrisantes sont plus jeunes que les hommes, ce qui peut n'apparaître que comme le reflet d'une différence d'âge au mariage ; la proportion de garçons maltraités diminue avec l'âge, alors qu'augmente celle des filles (violences sexuelles ?). On relève aussi la figure de l'enfant symptôme, celui sur lequel se concentrent les violences familiales. La réponse privilégiée de la justice est l'enfermement, assez court, du parent maltraitant, rarement la déchéance de paternité ; la sévérité de la peine dépend au fond du seuil de tolérance de la société et la distinction est parfois subtile entre un abus du droit d'autorité et une violence nettement caractérisée comme illégitime et donc plus sévèrement sanctionnable. Il s'avère ainsi difficile d'établir des catégories fiables. Jean-Jacques Yvorel fournit également une géographie de cette violence (nord contre sud), mais aussi des comportements des différents ressorts de justice, avec des différences plus délicates à interpréter.
Reste que pour sévir, il faut que la loi s'en donne les moyens : Annie Stora-Lamarre établit la généalogie de la loi de 1898 et, plus largement, interroge le droit comme révélateur de l'état d'une société, au carrefour du politique et de la morale. Elle met ainsi en évidence le rôle de juristes comme Raymond Saleilles, l'anti-Lombroso dans son approche du criminel, le promoteur de l'individualisation du sujet pénal, mais aussi René Béranger, sujet de la communication de Jacques Bourquin. Le " père la pudeur " fut, avec quelques autres comme Théophile Roussel ou Paul Strauss, l'un des promoteurs de la loi de 1898. Républicain et catholique, successeur de son père dans son œuvre philanthropique, notamment à la tête de la Société générale des prisons, il mène un long combat pour humaniser la pénalité mais aussi moraliser la société (lois sur la libération conditionnelle, le sursis, la relégation) et est rapporteur devant le Sénat du projet de loi de 1898. Béranger s'acharna à montrer l'enfant victime derrière l'enfant coupable. Dans le cas de la Belgique, étudié par Geoffroy Le Clercq pour les violences sexuelles commises sur les enfants, l'émergence de la notion de victime se heurte à la morale qui hésite à rendre publiques des violences relevant de la sphère privée. Il faut attendre la loi de 1846 pour que les abus sexuels soient pris en compte. Encore convient-il d'examiner comment cette loi fut appliquée, ce à quoi s'emploie G. Le Clercq pour la cour d'assises de Namur des années 1830 aux années 1860. On y retrouve des débats identiques à ceux existant en France : par exemple, qu'est-ce qu'un viol ? que pèse la parole d'un enfant ? Où, de nouveau, se situe le seuil de tolérance ? Cela revient en définitive à poser de nouveau la question de l'innocence de l'enfant, et à la confronter au soupçon de culpabilité (traduit en soupçon de complicité par la justice) qui pèse sur lui. Si l'on ajoute le poids des silences sociaux, la difficulté à distinguer le privé du public, la volonté de préserver à tout prix l'unité d'une communauté, on voit se dessiner les éléments favorables à une minimisation de la pénalisation de ce type de violences. La place des experts est alors capitale, en particulier celle des médecins légistes auxquels s'intéresse Denis Darya Vassigh. Si la personnalité d'Ambroise Tardieu est bien connue, celles d'Adolphe Toulmouche et de Paul Bernard mériteraient d'être davantage cernées. Surtout, il est intéressant de voir comment, peu à peu, l'idée de victimisation de l'enfant s'efface devant celle de culpabilité : Fournier, Thoinot, Dupré, Brouardel convergent dans l'idée d'un enfant simulateur, sujet mythomane par nature. Voilà qui ne devait pas faciliter l'application de la loi par la Justice, mais qui interroge également sur le " partenariat " des institutions en charge de la protection de la jeunesse. Éric Pierre met précisément en relation la loi de 1898 et les institutions en charge de l'accueil et du suivi des enfants : Administration pénitentiaire, sociétés de patronage, Assistance publique. La première se voit quelque peu confinée au rôle d'accueil des cas les plus difficiles, là où les sociétés de patronage — qui relèvent pourtant d'un statut privé — connaissent un vif essor pour répondre à un besoin croissant d'éducation des enfants passés par la Justice, victimes ou coupables. Quant à l'Assistance publique, elle constitue le dernier recours, sollicitée lorsque aucune solution de type associatif n'est trouvée. Il est vrai qu'elle n'est pas équipée pour faire face à la demande croissante d'accueil d'enfants qualifiés de " vicieux ". Il semble bien que les promoteurs de la loi de 1898 aient mal jaugé ses conséquences matérielles, en terme de places et de traitement des enfants concernés. Au reste, la Justice elle-même applique-t-elle si facilement la loi ? Dans son étude consacrée aux tribunaux face aux violences sur les enfants sous la Troisième République, Dominique Dessertine, qui se concentre sur le cas de Lyon, met en évidence les hésitations, pour ne pas dire les réticences de la Justice dans ce type d'affaires. En témoignent et le faible nombre de cas recensés, et l'attitude des tribunaux lorsque ces affaires sont judiciarisées. L'évocation de Ponce-Pilate résume bien ces comportements : si l'on réprime à l'envie la mendicité infantile et les infanticides de nouveaux-nés, il faut attendre les années 1920 pour que la répression des violences à enfants connaisse une prise en compte grandissante — encore les condamnations restent-elles légères. Quant aux violences sexuelles, elles connaissent la même trajectoire. Par ailleurs, D. Dessertine met l'accent sur la loi de 1889 relative à la déchéance de puissance paternelle ou maternelle et dont les effets en terme de protection de l'enfance ont été égaux à ceux de la loi de 1898. Comment agir avec efficacité sur les parents violents, maltraitants ou, ce qui relève d'un élargissement sensible du contrôle social, mésusant des allocations familiales ? Michel Chauvière montre que dès les années 1938-1946 se dessine la possibilité de mise sous tutelle de ces allocations. Les juristes peinent évidemment à formuler les choses de manière à la fois ouverte et précise qui donnerait à la Justice le droit d'exercer une " police des familles " consistant non pas à supprimer le versement, mais à le diriger sur une tierce personne, un tuteur. Un débat qui, on le sait, est redevenu d'actualité en cette fin de siècle. Il est de fait toujours difficile de légiférer en ce domaine des violences familiales, parce qu'on se trouve alors contraint de penser la famille comme institution et comme cellule sociale. Pierre Guillaume étudie ainsi ce qui se joue autour de la puissance paternelle et de sa possible remise en cause, mais également autour de l'autorité paternelle comme garant de l'harmonie sociale : en définitive, néomalthusiens comme populationnistes se rejoignent dans une certaine indifférence au sort de l'enfant (vision qualitative), là où la question du nombre s'impose (approche quantitative). Comme le montre Pascale Quincy-Lefebvre, les enquêtes menées par l'Association du mariage chrétien (fondée par l'abbé Viollet) dans les années 1920 et les années 1930 sur le châtiment corporel nourrit un riche débat, entre résistants à toute condamnation d'une pratique jugée en accord avec la foi catholique, opposants radicaux au nom des mêmes valeurs et intermédiaires que l'on pourrait qualifier de " conditionnalistes ". Enfin, Jean-Charles Basson prolonge le débat avec le cas des violences scolaires contemporaines et de leur répression : à la difficulté de compter et de classer cette violence polymorphe, s'ajoute la difficulté à la traiter, entre registre pénal et registre symbolique et moral. Éducateurs contre juristes ? Modèle répressif, préventif, curatif, managérial ? Si aucune réponse ne s'impose, on remarque en revanche que l'école est devenue un lieu privilégié d'expression d'une violence sociale globale qu'elle doit gérer, tant bien que mal.
Au total, ce riche volume d'actes apporte une connaissance renouvelée sur la question, perçue à juste titre comme centrale, de la relation entre enfance et violence. L'actualité de la plupart des thèmes traités, à un siècle de distance, est patente, mieux (pire ?) : troublante. Comme si la société actuelle qui aime encore et toujours à s'inscrire dans le " progrès " comme valeur référentielle butait sur une question non résolue. Parce que non soluble ou parce que mal envisagée ? On constatera simplement que l'actualité des violences à enfants rend nécessaire une vision historique de la question : si le passé, en ce cas précis, n'explique pas le présent, il permet au moins de montrer les déplacements qui se sont lentement opérés depuis un siècle, les avancées aussi, et révèle les mutations de l'enfant pensé par l'adulte.
 

Auteur

J-C Caron

 

 

 

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