Enfants placés, les dossiers de la honte Dans le monde
Enfants placés, les dossiers de la honte
Maltraités, sexuellement et physiquement abusés, exploités. Ils seraient 100'000 enfants en Suisse, sans doute plus, à avoir été placés et avoir subi ces injustices, jusque dans les années 80. Pendant de nombreuses années, ils n'ont reçu aucune excuse, aucune explication, ni de la part de l'Etat, ni de la part des paysans, où ils étaient placés, ni de celle de l'Eglise. Aujourd'hui, la Suisse est en train de faire son devoir de mémoire. Pour la première fois, ces victimes peuvent consulter leur dossier, resté secret jusqu'alors. Pour comprendre pourquoi et dans quelles circonstances leur vie a été brisée.
http://www.rts.ch/play/tv/temps-present/video/enfants-places-les-dossiers-de-la-honte?id=6727036
Les restes de 800 enfants localisés dans une fosse commune en Irlande
Nouvel exemple de l'opprobre qui pesait jadis sur les filles-mères, une historienne affirme que 800 petits nés hors mariage, pensionnaires d'un établissement géré par des religieuses, ont succombé à la maladie et à la malnutrition entre 1925 et 1961.
Jusqu'à il y a quelques décennies, accoucher d'un enfant hors mariage était en Irlande une des pires choses que pouvait commettre une jeune femme. L'opprobre visant les filles-mères de l'île est connu du grand public depuis la fin des années 1990, avec la découverte du scandale des couvents-blanchisseries de la Madeleine, où le confinement, le travail pénible, les humiliations et les brimades étaient de mise pour ces femmes. Le sort de leurs enfants n'était pas plus enviable, suggèrent les travaux d'une historienne locale qui a confirmé, la semaine dernière, l'existence d'une fosse commune contenant les cadavres de 800 enfants en bas âge à Tuam, dans la région de Galway.
Le charnier était connu des habitants locaux mais personne n'avait, jusqu'aux travaux de Catherine Corless, vérifié l'identité des victimes et leur nombre.Pendant longtemps, les habitants ont même cru qu'il s'agissait des restes de victimes de la grande famine qui a touché l'Irlande à partir de 1840. En réalité, ces bambins étaient des pensionnaires de l'orphelinat de Tuam accueillant des filles-mères et leurs bébés nés hors-mariage. L'institution, qui a fonctionné de 1925 à 1961, était gérée par les sœurs catholiques du Bon Secours.
Les conditions de vie y étaient difficiles, ce que n'ignoraient pas les autorités et les habitants. Un rapport de 1944 décrit un hospice surpeuplé, abritant 333 résidents, dont 271 enfants et 61 mères célibataires alors que la capacité du bâtiment était de 243 personnes. Le document mentionne des enfants «fragiles, émaciés et bedonnants (signes de malnutrition, NDLR)». La mortalité était fréquente dans ces «Mother and Baby Homes». Dans l'Irlande des années 1930, un quart des enfants illégitimes mourraient en bas âge.
Indifférence générale et loi du silence
Tuam n'est pas une exception. On y meurt de convulsions, de tuberculose, de malnutrition, de pneumonie, de gastro-entérite ou de la rougeole. C'est à partir de recherches dans les registres d'état civil que Catherine Corless estime le nombre d'enfants ensevelis dans la fosse commune à au moins 796. Rien qu'entre 1943 et 1946, 300 petits pensionnaires de Tuam succombent, recense un compte rendu de l'époque. Etant nés hors mariage, les enfants n'étaient pas baptisés et ne pouvaient être enterrés dans un cimetière, d'où la transformation d'une fosse septique voisine en charnier.
Le quotidien des survivants restait sombre. Les «Home Babies» vivaient à la marge de la communauté. Brièvement scolarisés avant d'être placés vers 7 ou 8 ans, ils étaient à peine mieux traités que les enfants des Gitans, rappelle Catherine Corless. À l'école, ils étaient relégués au fond de la classe, malmenés par leurs camarades.
Catherine Corless espère que la campagne menée pour ériger une plaque commémorative avec le nom des enfants récoltera assez d'argent. Mais elle se dit heurtée par l'indifférence et l'oubli des contemporains de l'orphelinat. Preuve, selon elle, de la loi du silence et du rôle et de l'influence de l'Église catholique irlandaise qui a pesé sur ce sujet longtemps resté tabou. Suite à la médiatisation des travaux de Catherine Corless, les autorités ont promis de mener une enquête. Le clergé de Galway a, lui, souligné n'avoir jamais eu connaissance du charnier.
On estime que plus de 50.000 enfants sont nés en Irlande dans les «Homes» entre 1930 et 1990. Comme le montre le film Philomena , avec Judi Dench, sorti fin 2013, plusieurs milliers d'entre eux - 2200 entre 1945 et 1965 - ont été adoptés, parfois aux États-Unis, sans l'accord de leurs mères biologiques qui travaillaient sans salaire pendant deux ou trois ans pour se repentir de «leurs pêchés». Des événements qui formaient la trame du drame de Peter Mullan, The Magdalene Sisters.
- Constance Jamet
- Mis à jour
- Publié
Cet Etat allemand qui enlève les enfants à leurs parents sans procès
11 juillet 2013
Cet Etat allemand qui enlève les enfants à leurs parents sans procès
« En moyenne, nous avons 120 à 150 appels téléphoniques sur notre hotline pour la protection de l'enfance, par des concitoyens qui nous donnent les coordonnées où un enfant serait en danger», explique un policier. Les médias s'empressent de rajouter dans le texte le numéro à composer pour joindre ce service, participant ainsi à la délation ambiante qui a investi le pavé berlinois depuis plusieurs années déjà.
2929. L'année 2012 a comptabilisé 2929 enfants retirés à leurs parents.
« Depuis mai 2007, notre hotline a comptabilisé jusqu'au mois d'avril 7284 appels pour signaler un enfant en danger », se félicite un responsable de la protection de l'enfance. Dans leur langage, les autorités compétentes de Berlin utilisent le verbe « sauver » pour parler des enfants retirés de force à leurs parents. Bien sûr, les parents qui sont durant plusieurs jours sous le contrôle du Jugendamt agissant comme une araignée sur son immense toile sont poussés à bout et vont agir sous la pression de la peur d'une manière non normale, faisant intervenir la police qui ne se gêne pas pour cueillir l'enfant des bras du parent alors qu’ils se trouvent dans la rue lors d'une promenade".
Luxembourg 82% de ces placements sont des placements judiciaires
Le projet de loi sur la protection de la jeunesse au Luxembourg a déjà un train de retard! Dans son avis présenté mardi, la Commission consultative des Droits de l'Homme (CCDH) estime qu'il ne faut plus écarter les parents de toute décision concernant leur enfant placé. Les circonstances d'un placement à Schrassig doivent être claires et le tribunal de la jeunesse ne devrait plus exclusivement être composé de magistrats professionnels.
Il s'agit d'un «dépoussiérage (de la loi de 1992) mais il faut repenser le tout et l'adapter à la réalité, ainsi qu'aux autres textes de loi», estime la CCDH par la voix de Gilbert Pregno à propos du projet de loi qui est en retard d'un train, voire à contresens de ce qui se pratique déjà chez nos voisins français, allemands, belges ou néerlandais.
Dans ces pays, l'intervention des pouvoirs judiciaires a, ces trente dernières années, été de plus en plus délimitée afin de mettre en place des mesures socio-éducatives et permettre aux familles de continuer à remplir elles-mêmes leur rôle éducatif. Mais le Luxembourg «ne participe que difficilement à cette évolution», écrit poliment le CCDH car l'attitude globale consiste toujours à vouloir protéger les enfants de leurs parents. Le contraire donc.
82% de ces placements sont des placements judiciaires
Au Luxembourg près de 1.000 enfants sont actuellement placés dans des institutions. Mais 82% de ces placements sont des placements judiciaires, contre seulement 33% en Allemagne ou 55% dans certains départements français par exemple. «Dans certain cas l'intervention du juge est nécessaire mais nous mettons en cause le fait qu'il doive intervenir si souvent», explique Gilbert Pregno.
En cas de placement judiciaire, la CDDH est d'avis qu' «il ne convient pas», sauf pour des motifs graves, de ne plus permettre du tout aux parents de décider de ce qui est bon ou pas pour leur enfant. «Cela conduit souvent à une déresponsabilisation complète des parents. En Allemagne on ne leur enlève que le droit de décider où vit l'enfant», explique Deidre Du Bois. La CCDH préconise que l'autorité parentale soit exercée de manière conjointe entre les parents et l'institution.
Dans ce projet de loi «il est toujours question de placer des jeunes au centre de détention de Schrassig alors que justement il s'agissait de l'éviter!», note M. Pregno. Aussi la CCDH demande au législateur d' «au moins définir les faits et circonstances dans lesquels le mineur pourra se retrouver en milieu carcéral».
La CCDH juge nécessaire de modifier la composition du tribunal de jeunesse en première instance en y incluant des représentants du domaine psycho-socio-éducatif. Et préconise par ailleurs de donner une formation spécifique à tous les magistrats qui s'occupent de mineurs en difficulté.
Belgique : un enfant retiré de son cadre familial est placé dans un hôpital.
Où séjournent les enfants placés quand les services d’accueil sont saturés ? "On les dépose comme des paquets à l’hôpital", s’indigne Stéphanie
Où séjournent les enfants placés quand les services d'accueil sont saturés ?
C’est un problème peu connu. Et pourtant bien réel. Lorsqu’aucune solution n’est trouvée pour l’accueillir, un enfant retiré de son cadre familial est placé dans un hôpital. Un endroit inapproprié pour son développement. Stéphanie, qui a accueilli récemment un petit garçon, déplore cette situation causée par le manque de places en famille d’accueil et l’engorgement des centres d’hébergement. Conscient de cette réalité, le ministre compétent a pris différentes mesures et souhaite obtenir des moyens plus importants pour soutenir le secteur, cruellement sous-financé.
"C’était un petit cœur. J’ai beaucoup pleuré quand il est parti, surtout quand je l’imaginais dans son petit lit d’hôpital", se souvient avec émotion Stéphanie, qui nous a contactés via notre page Alertez-nous. Cette mère de famille qui habite Le Roeulx, dans la province du Hainaut, a récemment vécu une expérience marquante.
Au mois de juin dernier, elle a accueilli un petit garçon de trois ans, placé pour difficulté parentale. "C’est la première fois que mon mari et moi avons été parents d’accueil d’urgence. Comme je suis directrice d’une crèche communale, j’ai été moi-même confrontée au cas difficile d’une petite fille qui devait peut-être être placée. Je me suis demandée où elle allait aller. Du coup, j’ai décidé moi-même d’aider des enfants en difficulté", explique Stéphanie, âgée de 34 ans et maman de trois garçons.
Environ 40.000 jeunes pris en charge par an
En moyenne, environ 40.000 jeunes par an sont pris en charge par le Service de l’Aide à la Jeunesse (SAJ) au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La grande majorité d’entre eux sont confrontés à une situation de difficulté ou de danger (précarité, négligences graves ou maltraitance). Ils sont alors hébergés hors du milieu familial. Un parent hospitalisé peut par exemple se trouver temporairement dans l’incapacité d’assumer son fils ou sa fille. Le placement familial chez un proche (un oncle, les grands-parents, etc.) est toujours privilégié. Mais si cette solution s’avère impossible, l’enfant sera alors placé soit dans une institution, soit dans une famille d’accueil. "Parfois, un enfant ne semble pas capable de renouer des liens avec des non-professionnels. Dans ce cas-là, il est placé dans un centre spécialisé. Un passage nécessaire pour imaginer un accueil dans une famille ou un retour éventuel chez les parents", indique Xavier Verstappen, président de la fédération des services de placement familial. En fonction de la situation personnelle, le SAJ décide également de l’orienter vers l'un des différents types de prise en charge (accueil d'urgence, de courte durée, à moyen et long terme). Le mandat peut être donné soit par le conseiller ou le directeur de la jeunesse, soit par le tribunal de la jeunesse.
Un accueil d’urgence de 45 jours maximum
Chaque famille candidate à l’accueil peut choisir le type de placement familial et définir des critères de sexe et de tranche d’âge. Stéphanie a opté pour l’accueil d’urgence."Quand on veut devenir famille d’accueil, il faut poser sa candidature. Le service de placement mène une enquête psycho-sociale et fournit des informations essentielles avant d’attribuer un enfant, si le profil convient. Nous, on a choisi l’urgence pour une question d’organisation car on a déjà trois garçons. Et puis, on peut surtout accueillir et dépanner plus d’enfants", explique la trentenaire. Cet accueil temporaire dure maximum 45 jours. Comme l'indique Christian Pringels, directeur de l’Accueil Familial d’Urgence,"ce temps est mis à profit pour tenter de dégager une solution à une situation de crise, en privilégiant un retour possible dans la famille". Le service de placement joue un rôle essentiel de relais entre le jeune et les différents acteurs."On tente de maintenir un lien entre les parents et l’enfant dans les limites du possible. Des rencontres libres ou surveillées sont ainsi organisées. Certaines situations ne sont pas simples, comme des visites en prison. On sert toujours d’interface. On va chercher l’enfant pour le déposer dans une famille d’accueil et c’est nous qui venons le reprendre pour une visite parentale", précise le directeur.
"Ce terme est horrible mais, pour moi, on les case à l’hôpital"
Pour la famille de Stéphanie, tout s’est globalement bien passé avec le nouveau venu dans la maison."C’était un enfant perturbé et donc turbulent parce qu’il n’a pas de limites et pas d’éducation. Mais ça on le sait à l’avance. Mes enfants ont bien réagi. Pour eux, c’était comme une fratrie qui s’agrandit." Par contre, c’est le départ prévu du garçonnet six semaines plus tard qui s’est avéré particulièrement difficile, en raison de l’absence de perspective. "Avant d’être logé chez nous, il avait déjà passé une semaine à l’hôpital. Il est arrivé avec quelques t-shirts et shorts dans un sac poubelle, c’est tout, se souvient la directrice de crèche. Au bout de 45 jours, aucune solution n’a été trouvée pour lui. L’idéal, c’est la remise dans le milieu familial. Mais dans son cas, ce n’était pas possible. Et aucune structure n’était disponible pour accueillir ce petit bout. Pas d’autre famille et aucune place dans un centre d’accueil. Il est donc retourné à hôpital avec une valise remplie de vêtements et de jouets", ajoute-t-elle. Lorsque les institutions sont saturées et aucune famille d’accueil disponible, le SAJ envoie en effet le jeune en milieu hospitalier. "Il a bien réagi parce qu’il a malheureusement l’habitude d’être balloté d’un endroit à l’autre. Mais j’étais tellement triste. Je suis aussi infirmière urgentiste et ce n’est pas rare de voir des enfants placés dans le service pédiatrie. Ce terme est horrible mais, pour moi, on les case à l’hôpital. On les dépose comme des paquets", s’insurge Stéphanie.
Une réalité que confirme le docteur Thierry Schurmans, chef du service pédiatrie-néonatologie au CHU Charleroi. Au mois d’août, sept enfants placés étaient hébergés sur les deux sites de l’hôpital. "Malheureusement, c’est une vérité que nous déplorons. C’est scandaleux en dehors d’une période d’urgence de quelques semaines", déplore le pédiatre. Selon lui, leur présence dans un hôpital est justifiée, s’ils ont besoin de soins médicaux. Mais dans la majorité des cas, une hospitalisation n’est pas une nécessité pour eux. "Un hôpital n’est pas un endroit approprié. Ces enfants devraient plutôt se trouver dans des institutions où ils bénéficient d’un encadrement adéquat avec des éducateurs et des psychologues. Mais ces structures sont engorgées et sous-financées, aussi bien en Wallonie qu’à Bruxelles. Certaines vivent de la mendicité", regrette Thierry Schurmans, qui ne mâche pas ses mots.
"Cela peut mener à la maladie de l’hospitalisme"
Le médecin épingle également les répercussions possibles sur leur comportement."Pour moi, cela s’apparente à de la maltraitance sociétale qui peut mener à la maladie de l’hospitalisme. Il s’agit de troubles du comportement induits par un séjour prolongé et inadapté à l’hôpital. Ces enfants sont emprisonnés. Certains grimpent au mur, d’autres s’éteignent et sont sujets à la dépression par manque d’affection continue. J’ai aussi connu un garçon de 3-4 ans qui mangeait ses excréments", indique Thierry Schurmans. Au sein de l’hôpital, le personnel médical tente pourtant de créer pour eux une vie sociale la moins anormale possible. Dans certains établissements, il existe par exemple des salles de sport et/ou un espace vert qui leur permettent de se défouler."La journée, ils vont à l’école ou on les dépose à la crèche qui se trouve à 100 mètres de l’hôpital. Nous devons donc tous faire preuve de beaucoup de bonne volonté sans être véritablement récompensé. Et c’est surtout épuisant. Etant donné leur énergie débordante, ils courent partout. Les infirmières sont épuisées, souligne le chef de service. Et cela peut également être dangereux s’ils enlèvent le baxter d’autres enfants malades ou s’ils cassent des choses dans les salles d’opération. L’hôpital est responsable mais ne perçoit aucun financement adéquat. Je vais demander d’améliorer notre structure d’accueil pour eux, mais cela ne devrait tout simplement pas exister."
Le CHU de Charleroi n’est évidemment pas le seul centre hospitalier confronté à cette situation. D’après Thierry Schurmans, les autres hôpitaux de la région se plaignent des mêmes difficultés."A Bruxelles aussi. J’ai visité cet été le centre d’accueil pour enfants placés à l’hôpital Saint-Pierre, où il y avait 12 enfants. Même s’ils ont pu engager deux éducateurs pour les encadrer, ils épinglent des problèmes similaires", assure-t-il.
Un gaspillage de l’argent public
Au-delà de cet accueil dans des conditions loin d’être optimales, le chef de service évoque également un gaspillage des deniers publics. "Une hospitalisation coûte 400 euros par jour par enfant. (Ndlr: une somme à charge de l’Inami). Or, on devrait plutôt utiliser cet argent pour les structures d’accueil adaptées. Mais, le problème c’est que ce sont des budgets différents, dénonce Thierry Schurmans. Et certains enfants restent pendant des périodes longues. Il y en a un qui a séjourné un an chez nous. Il n’avait pas de mutuelle. On a donc envoyé une note de 130.000 euros au SAJ qui a dû payer." Après avoir entrepris des démarches auprès des juges du tribunal de la jeunesse, le pédiatre compte à présent sensibiliser le monde politique pour faire bouger les choses.
Alors, quelle est justement la réaction du ministre de l’Aide à la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles face à cette problématique ? Rachid Madrane se dit conscient de cette réalité, qu’il qualifie toutefois de marginale. "Il est vrai que pour de jeunes enfants qui sont en danger grave et immédiat dans un milieu très inadéquat, l’hôpital peut parfois, faute de place disponible, être une ressource pour protéger un enfant. Mais cette réponse hospitalière ne peut être bien entendu durable ni systématique. L’hôpital est, en effet, un lieu de soins et non un lieu d’accueil", souligne le ministre, qui se dit toutefois surpris par la présence d’un enfant pendant une année à l’hôpital."Je n’ai jamais eu connaissance de cas si long. En général, c’est pour une durée temporaire de deux, trois semaines", indique-t-il. Par contre, le ministre déplore également les factures élevées d’un séjour à l’hôpital.
"Nous ne pouvons pas faire du shopping"
Le président de la fédération des services de placement familial Xavier Verstappen tient, lui, à souligner l’importance de la réflexion pour trouver les profils qui correspondent au mieux."Un placement en attente à l’hôpital n’est pas une bonne solution. Mais parfois, c’est une meilleure solution que d’héberger l’enfant dans une famille d’accueil pas préparée ou inadaptée parce que cela peut engendrer des dégâts tant pour les familles que pour les enfants. Ce n’est pas un projet à prendre à la légère. Cela implique beaucoup de vies humaines. Nous ne pouvons pas faire du shopping, surtout pour des placements sur le long terme", souligne le président de la fédération des services de placement familial.
Si les avis sont nuancés, tous ces acteurs de l’aide à la jeunesse se rejoignent sur la solution pour éviter un séjour inadapté et coûteux à l’hôpital: augmenter le nombre de places disponibles et les moyens alloués au secteur de l’aide à la jeunesse."Il y a de plus en plus de familles d’accueil qui nous contactent. Mais ce n’est pas suffisant", regrette Christian Pringels, directeur de l’Accueil Familial d’Urgence.
L’accueil familial, la "priorité" du ministre Madrane
Afin de remédier à la pénurie de places, Rachid Madrane a pris différentes mesures. Depuis sa prise de fonction, le ministre affirme que l’accueil familial est l’une de ses priorités."Lorsque nous devons retirer momentanément un enfant de son milieu familial, la mesure la plus douce, ou en tout cas la moins traumatisante, est le placement en famille d’accueil, quelle que soit la qualité du travail de nos services d’accueil ou d’aide éducative", souligne le socialiste."C’est la solution la moins chère pour la société et la plus humaine, si elle est bien réalisée", confirme Xavier Verstappen, président de la fédération des services de placement familial.
Pour attirer un plus grand nombre de familles prêtes à se lancer dans cette expérience humaine et valoriser leur rôle, le ministre a lancé différents chantiers. D’une part, il a voulu leur simplifier la vie au travers d’une simplification administrative. Parmi les aménagements qui vont entrer petit à petit en vigueur dans le courant de cette année, il y a la réduction du délai de sélection des familles, l’harmonisation du processus de sélection, la signature d’un seul document valable un an pour toute démarche qui demande l’autorisation des parents biologiques ainsi qu’une simplification pour le payement des frais et des indemnités.
D’autre part, une grande campagne de sensibilisation et de recrutement sera organisée au mois d’octobre prochain. L’objectif est évidemment de disposer d’un nombre plus important de familles sélectionnées au profil diversifié."Je veux arriver à augmenter de façon sensible le nombre de familles d’accueil potentielles afin de limiter les placements en institutions. Il faudrait arriver à recruter 50 à 80 familles supplémentaires par an", indique le ministre de l’Aide à la jeunesse.
"Le secteur est chroniquement sous-financé depuis des décennies"
Par ailleurs, à la demande de Rachid Madrane, 85 places supplémentaires ont été créées dans les structures d’accueil depuis le mois de juillet dernier. "Et on va continuer. Mais pour cela, il faut augmenter les moyens. Ce secteur est chroniquement sous-financé depuis des décennies. Or, les besoins sont de plus en plus nombreux. Les situations de certains enfants sont terribles et nous devons les protéger", souligne le ministre. Lors des prochaines discussions budgétaires, il va donc demander d’augmenter (entre 10 et 20%) le budget annuel (276 millions d’euros) octroyé au secteur qui devrait, selon lui, être considéré comme "une priorité".
Cet argent supplémentaire pourrait notamment servir à engager plus de personnel."Notre service s’occupe de 600 enfants. Malheureusement, en raison de notre budget fermé, c’est très difficile de répondre à tous les besoins. Tout le monde ici fait des heures supplémentaires. Mais on ne peut pas faire cela à l’infini", dénonce Xavier Verstappen, président de la fédération des services de placement familial.
Un projet privé pour construire une nouvelle maison d’accueil
Face à cette situation, certains particuliers ont même entamé des initiatives privées pour améliorer le cadre de vie de ces enfants. C’est le cas de la "Fondation Papillon", dans la région de Charleroi. Une équipe de bénévoles enthousiastes a décidé de se mobiliser pour offrir un toit et un espace de vie à une quarantaine d’enfants et adolescents, actuellement hébergés dans des bâtiments vétustes de la Cité de l’Enfance (une institution subventionnée qui comprend plusieurs structures d’accueil). Il s’agit du "Projet Cocon" dont l’objectif est de construire une nouvelle maison pour les accueillir à Montigny-le-Tilleul. "Nous avons voulu aider la Cité de l’Enfance qui n’a pas beaucoup de moyens en réalisant ce projet. Au total, nous avons besoin de deux millions d’euros. Pour récolter des fonds, nous organisons donc des événements sportifs ou culturels. Et nous recevons aussi des dons", explique Denis Fontaine, le président de la fondation. "Nous avons déjà acquis un terrain et obtenu un permis de construire. Et aujourd’hui, nous continuons à nous mobiliser car il manque encore de l’argent. Mais nous espérons pouvoir débuter la construction du bâtiment avant la fin de cette année", indique le président de la fondation.
Le rôle "essentiel" des familles d’accueil
De son côté, Stéphanie révèle son rêve de pouvoir un jour ouvrir ce genre d’établissement pour combler la demande. "Mais pour assurer les salaires et le fonctionnement, il faut un financement. Et c’est très difficile d’obtenir des fonds publics ou privés", regrette-t-elle. Cette mère de famille envisage donc plutôt d’accueillir chez elle un autre enfant en difficulté. Même si sa première expérience n’a pas forcément été facile, Stéphanie est consciente que son engagement est important. "La prise en charge de ces enfants est essentielle parce qu’ils vont devenir des adultes et il faut leur assurer aussi un bel avenir", estime-t-elle.
Julie Duynstee
Services sociaux en Europe:
Résumé
Si les enfants ont le droit d’être protégés de toute forme de violence, de maltraitance et de négligence, ils ont
aussi le droit de ne pas être séparés de leurs parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes
ne décident qu’une telle séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Si rien ne permet de
dire qu’un enfant risque, ou risque de manière imminente, de subir un préjudice grave, notamment du fait
d’actes de maltraitance physique, sexuelle ou psychologique, il ne suffit pas de démontrer qu’un enfant
pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique à son éducation pour pouvoir le retirer à ses
parents, et encore moins pour pouvoir rompre complètement les liens familiaux.
Les droits des enfants sont violés aussi bien par les décisions injustifiées prises dans les Etats membres de
retirer (ou de ne pas rendre) des enfants à leur famille, que par les décisions injustifiées de ne pas retirer (ou
de rendre trop tôt) des enfants à leur famille. Les Etats membres devraient donc mettre en place des lois, des
règlements et des procédures donnant véritablement la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant dans toute
décision de placement, de retrait et de retour. L’instance compétente du Conseil de l’Europe devrait élaborer
des lignes directrices à l’intention des Etats membres sur les manières d’éviter des pratiques considérées
abusives dans ce contexte, à savoir, sauf circonstances exceptionnelles, de rompre complètement les liens
familiaux, de retirer des enfants à leurs parents dès la naissance, de justifier une décision de placement par
l’écoulement du temps et d’avoir recours à l’adoption sans le consentement des parents.
A lire ce document du date du 13 mars 2015
Pdf (345.74 Ko)
Ajouter un commentaire