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FamillenDanger ( FED )

Les professionnels de l’enfance à l’épreuve des liens

L’homme est pour ainsi dire tout entier dans les langes de son berceau

De l’Antiquité à ce jour, archives officielles judiciaires et des hôpitaux, biographies et annales, puis
archéologie et iconographie permettent d’avoir une connaissance de la vie des enfants aux différentes
époques de nos sociétés occidentales.
Ces documents permettent également d’examiner comment les Etats se sont progressivement substitués
aux oeuvres caritatives et philanthropiques en élargissant leurs interventions auprès des enfants orphelins où abandonnés, puis , aujourd’hui, auprès des enfants en danger, en s’intéressant progressivement à leurs familles.
Au fil des siècles, l’abandon, l’infanticide, la vente, le dressage à la mendicité, l’exploitation organisée du travail des enfants, ont généralement conduit les Congrégations, puis les Etats, à organiser des systèmes pour faire face de façon moins meurtrière, à ces situations intolérables !En France, les fouilles
archéologiques des cimetières révèlent que, au Moyen-Age, 30 à 40% des squelettes étaient ceux
d’enfants ! Puis les enfants « trouvés » sont progressivement devenus les « enfants naturels de la
Patrie » !
C’est au cours du 19eme siècle, en même temps que l’on institutionnalise les « tours » pour le recueil
des nouveau-nés abandonnés, que deux grandes tendances se dessinent : l’institution des « secours » aux
familles pauvres et, à travers la Loi de 1889, la déchéance de la puissance paternelle et les sanctions
pénales contre les parents coupables de sévices sur leurs enfants.

 

L’intervention de l’Etat dans la vie des familles s’est ensuite progressivement et lentement mise en
place jusqu’au système actuel de Protection de l’Enfance. L’opposition entre l’enfance coupable et
l’enfance malheureuse est restée longtemps au coeur des tensions entre d’une part, la Santé et le social
et , d’autre part, la Justice .
Il est clair que l’Aide Sociale à l’Enfance ( l’ancienne Assistance Publique) ne répond plus aujourd’hui
aux mêmes préoccupations qu’à ses débuts. Née pour résoudre le problème des abandons, elle s’est
progressivement intéressée aux situations où l’élevage et l’éducation de l’enfant ne sont pas en
adéquation avec la place faite aujourd’hui à l’enfant dans nos sociétés occidentales.
Il est habituel de dire que le système de protection de l’enfant en France est double !mais c’est oublier le
Code Civil qui indique , lui, « qu’il appartient aux pères et mères de protéger l’enfant dans sa sécurité,
sa santé et sa moralité » La première obligation de protection de l’enfant doit être bien assurée en
premier lieu, par sa famille !
Je voudrais, indiquer au préalable, qu’il s’agit d’un essai de compréhension des difficultés de tous les
intervenants ( éducatifs, sociaux, médicaux, ou judiciaires) et pas des seuls travailleurs sociaux. Tous sont mis à mal, parfois par leurs propres services , souvent par les médias et même par eux-mêmes !
Difficultés individuelles et difficultés du réseau tout entier !
Il m’appartient donc ici d’examiner les difficultés rencontrées par les professionnels spécialement
chargés de la protection de « l’enfance » car le problème ne se pose pas de la même façon pour les
professionnels s’occupant de personnes âgées ou handicapées !

 

 

1-Une responsabilité :des professionnels en situation absolue de décider et d’intervenir !

C’est donc bien aux professionnels qu’il appartient de repérer et d’évaluer les degrés du danger
qu’encourt l’enfant, ainsi que la capacité de la famille à assurer « sa santé, sa moralité, sa sécurité, ou
son éducation » ! C’est-à-dire de décider si l’exercice de la parentalité par ces adultes-là leur permet bien de répondre à tous les besoins de l’enfant :physiques, psychologiques et affectifs !
C’est encore aux professionnels qu’il appartient d’évaluer la qualité du lien d’attachement qui va donner à l’enfant ce sentiment de sécurité sur lequel vont se construire toute sa personnalité et son « estime de soi »
Ensuite c’est donc bien à ces mêmes professionnels qu’il appartient de décider si l’aide sociale,
médicale ou psychologique proposée à titre préventif sera opérante ou non, si les moyens de la mettre en place existent bien et dans quels délais, et, ensuite, d’en évaluer les effets sur le long terme !
C’est encore à ces mêmes professionnels qu’il appartient surtout de décider si le recours aux mesures
d’assistance éducative judiciaire doivent être, éventuellement, proposées, d’emblée ou ultérieurement, et en apportant, pour ce faire à l’autorité judiciaire , tous les éléments de compréhension ! Ceci tout en
sachant que cette autorité judiciaire peut alors prononcer une série de mesures bien au-delà de
l’assistance éducative : séparation, retrait de l’autorité parentale, sanctions pénales ! mais aussi un nonlieu!
Enfin c’est au professionnel préoccupé par la souffrance repérée chez l’enfant, qu’il appartient de
déterminer les moyens qu’il prend pour procéder à cette évaluation :lettre de mise à disposition ?
convocation à la permanence ? à une consultation ? ou visite à domicile ? Ceci sachant bien que la
famille violente déplace souvent sa violence sur le témoin de cette violence et que la « porte fermée »
correspond à une parole interdite!1 Chacun sait que la visite à domicile est le lieu de la crudité des
dysfonctionnements familiaux !
Rudes responsabilités même si, en principe, l’ensemble de ces décisions ne se prennent plus seuls, mais
en groupe pluri-disciplinaire , voire entre plusieurs institutions : services sociaux, école, psychiatrie…. !
et si un nombre important de « protocoles » , « chartes » ou « schémas » ont été élaborés et signés entre
ces différentes Institutions Mais la multiplicité des regards facilite-t-il pour autant la décision ?
Le difficile consensus obtenu dans ces réunions évaluatives , ne protège pas pour autant, le professionnel
de ses représentations , de ses doutes et de ses affects à propos de la décision à prendre .Ceci est la
théorie et la règle , certes nécessaires, mais insuffisantes si une réflexion sur « l’enfant qui reste en soi »
n’est pas menée !
( J’ai deux soucis )

2-Qu’est-ce que l’enfance percute donc en l’adulte ? qui dit « enfant » dit aussi « famille » !

Comment comprendre en effet les difficultés des professionnels sans prendre acte que le système de
protection de l’enfance touche également à la « famille » ?
Famille , enfance et professionnels sont donc étroitement liés ! Les dictionnaires définissent bien euxmême le lien comme « ce qui unit entre elles, deux ou plusieurs personnes »
On observe alors que le législateur et les politiques qui vont devoir légiférer sur ce problème difficile,
sont pris également dans ce même lien ! De même les médias qui relatent ces affaires de familles ! Ils
partagent la même souffrance inconsciente et donc les mêmes mécanismes de défense, que ceux qui vont
affecter les professionnels ! Car, si familles et enfants font souvent dramatiquement les frais de ce lien
lorsqu’il est perturbé, les professionnels chargés de cette protection aussi !

3-Des décisions qui engagent profondément et font souffrir!

C’est sans doute autour des résistances conscientes et inconscientes que l’on peut trouver chez tous les
professionnels, mais aussi chez les législateurs , les politiques et l’encadrement, la clef de ces souffrances
et de ces réticences à entrer dans ces histoires de haine et d’amour !
Car ces histoires des familles des autres, sont aussi les nôtres !
Reconnaître la pathologie du lien , surtout lorsqu’elle concerne les très jeunes enfants, submerge chacun
d’émotions violentes et contradictoires : ne rien voir et nier, ou agir de façon mégalomane et
désordonnée, en voulant réécrire l’histoire est un risque fort! C’est-à-dire passer du déni à l’hyperactivité brouillonne !
Il est souvent plus facile de repérer, évaluer et signaler une situation de danger, vécue par un enfant hors
de sa famille !

 

 

Des témoignages d’une souffrance!

 

On ne peut comprendre les difficultés à repérer,évaluer et signaler les enfants en danger, qu’en examinant ce que disent les professionnels eux-mêmes des états émotionnels dans lesquels la violence intra-familiale les plongent ! Leur écoute, au cours de formations, interviews , ou supervisions est riche à cet égard !

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4-Résister à quoi ? Résister à évaluer ces familles qui mettent en danger ces enfants-là !

a-Résister : Pour le Littré « Ne pas céder au choc, ne pas se laisser pénétrer » par le doute ou la souffrance par exemple ?
C ‘est sans doute le dictionnaire de psychopathologie qui donne le sens le plus profond lorsqu’il
indique que la résistance est « l’ensemble des forces psychologiques qui s’opposent à la connaissance de soi. En analyse, cette opposition inconsciente, a pour but d’interdire l’analyse des symptômes afin de
préserver l’équilibre difficilement construit par le sujet, et de conserver les bénéfices procurés par la
maladie »
En effet, résistances conscientes et inconscientes sont bien à l’oeuvre chez tous les professionnels qui
doivent aussi maintenir leur équilibre ! au risque d’une souffrance par trop envahissante !On verra plus
loin quels bénéfices il s’agit de préserver!
b-Evaluer, c’est juger ?
Juger c’est « apprécier la valeur, le prix, l’importance d’une chose » indique le petit Larousse, mais c’est
encore le dictionnaire de psychopathologie qui oriente le mieux la réflexion « c’est savoir comment les
traitements proposés parviennent à infléchir l’histoire naturelle de la maladie »
Evaluer, c’est donc juger et « apprécier la valeur » c’est-à-dire apprécier la qualité du lien parentsenfant
et ses éventuels dysfonctionnements! Mais c’est aussi, savoir « comment infléchir » le cours de
cette histoire de famille, c’est-à-dire, la capacité à prendre les bonnes décisions ! Mais n’est-ce pas aussi, se juger et être jugé sur ses propres actions et capacités ! et sans doute encore , le besoin de juger les actions des autres professionnels ! ses propres collègues et ceux des autres institutions.
Savoir évaluer, une éducation et une formation précoce !
En France, l’expérience, la formation « sur le tas » sont souvent privilégiés. Dans les « instituts » ou
« écoles » formant l’ensemble des intervenants sociaux, médicaux éducatifs ou juridiques, la formation à l’évaluation, l’esprit de recherche sont souvent absents ! Trop nombreux sont les chercheurs en Sciences Humaines mobilisés auprès des professionnels, qui restent alors, seuls juges.
Construire un projet, c’est construire en même temps l’outil de l’évaluation du projet, et cela s’apprend
très tôt !Donner dès l’enfance un esprit de recherche, comme dans les pays anglo-saxons, c’est construire des adultes capables de s’analyser , se critiquer, et se remettre en cause sans blessure narcissique ! (Québec )
Cette absence d’éducation précoce à l’évaluation, constitue un déficit difficilement rattrapable lorsque les professionnels sont alors confrontés aux effets de la pathologie des liens familiaux , même si l’évaluation est bien inscrite dans tous les textes officiels !

 

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5-Mais qui sont ces « professionnels » ?

Des normes individuelles aussi multiples que les professionnels eux-mêmes ! Mais aussi des normes
collectives en évolution !Et encore une appartenance institutionnelle !

En matière de protection de l’enfance ,particulièrement lors d’une affaire de maltraitance, grand public et médias mettent surtout en cause les « travailleurs sociaux » principalement les assistants de service
social, qu’on accuse alternativement d’être ceux qui « n‘ont rien fait » « qui n’ont rien vu » ou au
contraire qui « placent les enfants » .
C’est oublier tous les autres , en contact avec les enfants qui ont aussi , à un moment donné, a repérer,
diagnostiquer , informer, voire traiter ! les médecins, pédiatres , psychiatres et experts, avec les
infirmières et puéricultrices , les éducateurs, enseignants et moniteurs sportifs, les magistrats de la
Jeunesse ou de la Famille comme ceux du Siège, mais aussi les policiers et les gendarmes !
Non professionnels , mais tout autant impliqués, on pourrait encore citer, la famille élargie et le
voisinage ! 

a- le professionnel est aussi une personne :
Au-delà des représentations inconscientes , mais agissantes, chaque professionnel est également unique
parce que le produit de plusieurs facteurs. Les représentations de l’enfant en danger du fait de sa famille, et des décisions à prendre, vont ainsi varier d’un professionnel à l’autre c’est-à-dire des personnes qu’ils sont aussi, en fonction de nombreux paramètres :
- leur âge, leur sexe, mais aussi leur propre statut parental ! ont-t-ils ou non des enfants eux-mêmes ? des bébés ou des ados ? (juge des enfants )
-leur éducation familiale, leur classe sociale, leur culture politique, religieuse ou ethnique !c’est-à-dire
quelle a été leur famille et les valeurs transmises ?
-leur formation initiale et leurs formations continues, mais aussi, élément souvent scotomisé, leur
ancienneté dans leur spécialisation et dans leur poste! Sont-ils « épuisés » ou encore pleins d’espoir ?
d’illusions diront les autres !
- leur lieu d’exercice professionnel, en internat ou en milieu ouvert , à l’hôpital ou dans un tribunal! Et
quelle est finalement la motivation profonde de leur choix professionnel ?
-Mais aussi, leur appartenance institutionnelle ! L’Etat ? une Collectivité territoriale ? une Association ?
bref leur carte de visite ?
On observe déjà là, la diversité des personnes et de leurs histoires personnelles, donc les regards
multiples, qui vont se porter sur la famille qui dysfonctionne et qui vont devoir évaluer le danger
encouru par l’enfant !Tous ces regards différents, ne sont-ils pas déjà inscrits dans leur propre histoire,
personnelle et professionnelle ?


b- Le professionnel est partie d’une société en évolution
Ces divers professionnels vont devoir, en outre, repérer, évaluer le risque de danger et engager des
actions en fonction des normes collectives en vigueur aujourd’hui.
Même si la loi, seule norme commune, consacre souvent des pratiques existantes, elle est néanmoins, elle aussi, en constante évolution .

Parmi les normes collectives qui évoluent le plus rapidement, on peut citer la société occidentale. Celle-ci est aujourd’hui multiculturelle et ses valeurs ne sont plus seulement celles des décennies précédentes (famille, travail, culture, religions, solidarité) Quelles valeurs retenir, accepter et préconiser ?
La notion de maltraitance elle-même, évolue selon les connaissances et la sensibilité publique,
l’insécurité, les moeurs, la pression des médias et l’organisation sociale et politique !
La capacité d’adaptation à ces évolutions, sera , à l’évidence, différente d’un professionnel à l’autre en
terme de rapidité, d’acceptation ou de refus devant de tels changements !
Cette situation accentue encore le risque de laisser la place à tous ces courants idéologiques et à leurs
dangereux mouvements de balancier3. La mémoire collective professionnelle est jalonnée de ces
« vérités » d’un moment qui ont cependant fait progresser la connaissance ! Citons-en quelques unes :
« il faut attendre que la demande s’exprime », « s’attaquer au symptôme c’est en faire réapparaître un
autre », « tout passe par la relation », « la page blanche », « une mauvaise famille plutôt que pas de
famille »….
Par exemple aujourd’hui n’est-on pas encore au coeur de nouvelles oppositions sociales, thérapeutiques, et judiciaires lorsqu’on affirme que « la filiation du sang doit primer sur d’autres liens de remplacement » ? Ce conflit idéologique qui traverse les services de protection de l’enfance n’a-t-il pas trouvé son écho et son apogée dans l’ouvrage de Michel Berger  « l’échec de la protection de
l’enfance » ? Mais n’est-il pas en même temps source de réflexion et de connaissance ?

3-L’institution , un système clos :

« charbonnier est maître chez soi » et l’inévitable identification du professionnel à son institution, c’est-à-dire sa famille !


L’appartenance institutionnelle va, également, jouer un rôle important dans le renforcement des
résistances des professionnels, leur évitant de trop souffrir.
L’institution à laquelle le professionnel a besoin de s’identifier (ASE, PJJ, Ecole ,Hôpitaux, Police,
,Etablissements…) et où il est lui-même « placé », mérite d’être examiné comme un système clos,
comme une famille !
Comme la famille qui met ses enfants en danger, l’institution génère ses propres règles, son langage
souvent hermétique, son climat, ses rites, son rythme et habitudes, mais aussi ses secrets ! bref ses modes d’enfermement !
Lorsque les insuffisances, les incompétences, voire les dysfonctionnements sont perçus par ses membres, le repli sur soi devient la règle , dans un mouvement protecteur pour l’institution et pour soi ! Comme l’enfant maltraité qui aime sa famille et qui veut « sauver la face » professionnels et institutions résistent ensemble par exemple à l’évaluation continue des mesures en cours ou au simple recueil de données chiffrées.
L’engagement du professionnel répond par ailleurs à une exigence : la nécessité de fonder sa propre
estime à partir de ses capacités à aider, soigner et protéger les autres. Ce besoin réparateur dépend autant de son identité personnelle et professionnelle que de son appartenance institutionnelle.

C’est dire que l’identification à son « corps »- médical, social, judiciaire, éducatif- est importante mais
également souvent ambivalente ! (hiérarchie, rémunération, statut) Ce sentiment d’appartenance à
l’institution est fort et repose sur la représentation sociale de la puissance de l’institution- l’Etat, le
Département, une Association…- mais aussi sur son histoire, son mandat, sa politique, ses codes, son
budget et encore son prestige dans la cité , bref, son « image de marque » !
Autant de raisons plus ou moins conscientes pour préserver ce lien institutionnel qui soude ses membres en maintenant en chacun , une « estime de soi » suffisamment élevée, en dépit des conflits internes ou des critiques légitimes !Mais aussi, autant de raisons pour ne pas mettre à mal la cohésion de l’institution
pour sauvegarder cette « image » !Ne s’agit-il pas là d’un des freins au « partenariat » si souvent
recommandé ?
6-Une inévitable confrontation à l’impuissance !
Ne pas voir, ne pas entendre, ne pas évaluer, c’est souvent se prémunir des échecs prévisibles devant la
complexité et les perturbations des liens parents-enfants, mettant en danger l’enfant. C’est aussi lutter
contre le sentiment d’impuissance devant les situations socio-économiques dégradées lorsque le chômage augmente ou que l’accès au logement est impossible ou , encore devant les troubles psychopathologiques graves, lorsque les équipes psychiatriques sont saturées ! Chacun connaît pourtant l’impact désorganisateur de la psychopathologie familiale sur le fonctionnement institutionnel !
Pour éviter de se trouver confronté à l’impuissance, au constat des échecs ou aux limites des actions , la
tentation est grande d’éviter l’observation des évolutions!
L’occultation, le déni, ou au contraire, les actions mégalomanes de type « Zorro », deviennent alors la
règle, lorsque les professionnels restent seuls, isolés, enfermés dans leur souffrance et souvent leur
dépression, surtout :
-lorsque leur encadrement plus gestionnaire et administratif que technique, méconnaît cette souffrance ou évite de l’aborder !
-lorsque les médias stigmatisent les professionnels au cours de procès largement relayés et que leurs
employeurs restent parfois silencieux! -lorsque certaines
Associations militantes de protection de l’enfance les disqualifient en permanence !
Comment alors se sentent les professionnels pris entre les pressions du public, les difficultés administratives et la réalité quotidienne ?

 

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7-Les professionnels ont aussi un inconscient :chercher l’enfant en soi !

Même si le non-jugement et la tolérance sont des valeurs profondément inscrites chez tous les praticiens du champ des sciences humaines, ils se heurtent au refus d’admettre l’attaque du lien mère- enfant par toute forme de violence.( L’ultime Tabou )
Tout adulte porte en lui une part d’infantile faite d’histoires d’amour et de haine et qui demeure actif .
Chercher l’enfant en soi est un exercice difficile !
Identifié à l’enfant souffrant ou au parent empêché dans sa parentalité, le professionnel se retrouve
empêtré dans sa propre histoire !
En d’autres termes , il est , comme tout être humain , en permanence à la croisée de deux langages : celui
d’aujourd’hui et celui du passé
- Lorsqu’il parle du bien-être de l’enfant, s’agit-il de l’enfant qu’il a été et dont il garde la nostalgie, à
moins qu’il ne s’agisse de celui qu’il aurait voulu être ?
- Lorsqu’il est mis à mal devant la violence incontrôlable d’un jeune enfant, sa honte de reconnaître
cette peur qui l’empêche de penser et peut le faire devenir agresseur à son tour, ne le confronte-t-il
pas à sa propre violence ?
- Lorsqu’il parle des parents, s’agit-il de la famille idéale aux yeux de la société occidentale ou de
la famille aimante, protectrice et compréhensive dont chacun rêve ou, encore, de ces jeunes
adultes fragiles et souffrants qui le bouleversent ?
- De quels parents parle-t-il ? des siens ou de ceux qu’il évalue ? et s’agit-il de parents «
intouchables » par peur ou par envie de les disqualifier en envisageant la séparation lorsque la
pathologie familiale ou les troubles du lien sont évidents ? Ainsi de la peur des professionnels
face aux visites médiatisées contraintes qui peuvent lui paraître inhumaines !
- Selon sa propre origine sociale, comment ressent-il l’environnement social, économique et
culturel gravement démuni ? et la confrontation à la pauvreté l’ incite-t-elle au placement ou ,au
contraire, au maintien à tout prix dans cette famille « pauvre » ? ( crise du logement pendant la
guerre )
On peut ainsi mieux comprendre comment la dure confrontation du professionnel à ses images
parentales, peut le faire basculer d’un investissement massif pour maintenir à tout prix un lien parentenfant,
à un désinvestissement total de la famille 5! On comprend alors mieux les évitements à toute
forme d’évaluation !
Les histoires de familles ne sont pas indemnes d’un certain nombre d’événements douloureux et sans
qu’il ait été forcement confronté à une pathologie familiale plus ou moins violente, les composantes
affectives de la biographie du professionnel sont sollicitées ! ses idéaux familiaux sont brutalement
mis à mal par la violente révélation qu’être géniteur n’est pas forcément l’assurance pour être un
parent « suffisamment bon »
Ces mouvements émotionnels sont à présent bien connus et décrits :angoisse, déni, doute, dépression,
impuissance ou toute puissance !Mais cette connaissance intellectuelle du « burn-out » ne protège pas
pour autant le professionnel de cette souffrance qui peut le conduire à se maltraiter à son tour ou à
maltraiter ses collègues !
La relation perturbée d’une mère avec son enfant, surtout s’il est jeune, ravive ces mouvements
émotionnels que Myriam David lie à deux éléments spécifiques : David,M ;Lamour,M « Recherche sur les nourrissons de familles carencées » Psychiatrie de l’enfant XXVII, 1984

1-la nécessaire reconnaissance de la défaillance parentale et donc des limites des mesures de
prévention. Le sentiment d’impuissance du professionnel est alors proportionnel à l’idéalisation
personnelle de la fonction parentale, d’où l’évitement à évaluer !
2-le désir culpabilisé et inconscient de prendre la place de la mère pour protéger l’enfant qui va
entraîner à son tour, négation, inhibition dans l’action et , encore, résistance à évaluer !

 

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8-Les effets de cette souffrance dans les pratiques

Il importe d’affirmer encore une fois , ici, que les difficultés rencontrées par les professionnels du
champ de la protection de l’enfance, ne sont pas dues à leur incompétence !
Ce sont bien les mécanismes identificatoires, à la base de l’empathie portée aux autres, qui agissent
comme le moteur nécessaire à l’accompagnement et au désir d’aider. Mais lorsque ces mécanismes ,
mal identifiés, deviennent trop envahissants ou instables, ils aveuglent et poussent au déni ou à
l’hyperactivité. La cohérence et la continuité, sont alors mises à mal par ces alternances
d’investissement ou ces brusques passages de « la patate chaude », face à la pathologie familiale .
Evaluer, et juger ,c’est d’abord pouvoir définir les besoins d’un petit enfant tout au cours de son
développement. Pour cela, il faut repérer les méconnaissances et les a-priori- toujours individuels- sur
lesquels les professionnels fondent leur jugement. On voit là, le risque de conflit et de
disqualification mutuelle, lorsque ce repérage se fait à plusieurs !
L’ autre effet bien connu de ces mécanismes identificatoires inconscients , peut être la dramatisation
ou la banalisation. L’urgence est bien souvent faite de ces alternances , lorsque, par exemple,
l’évocation d’une séparation peut être brutalement vécue comme un échec ou lorsque, au départ en
vacances, le professionnel perd sa toute puissance et fait un signalement non préparé!
Un effet particulièrement dangereux est aussi celui où le professionnel a peur de faire intrusion dans
l’intimité familiale, par sa crainte de juger et stigmatiser la famille- de l’attaquer- en quelque sorte,
par son regard et sa compréhension ! C’est sans doute la raison pour laquelle, il adopte plutôt cette
position d’écoute exclusive -et non d’action- en collant de façon excessive au modèle « psy »
Mais l’effet probablement le plus dommageable pour une protection réelle de l’enfant en danger, est
le difficile partage des observations ou des informations dont les conséquences sont à présent, bien
connues! Patrick Mauvais(6) distingue deux positions : « l’agrippement à son propre point de vue….et
l’évitement de la polémique »
6 Mauvais, P « pratiques d’interventions dans les institutions sociales et éducatives » L’Harmattan 2000

Le partenariat est cependant largement recommandé dans tous les textes officiels, protocoles ou
projets de services ! Les différences de perceptions conduisent alors à retenir l’information en
retardant par exemple, les réunions de synthèse ou de concertation. Lorsque ces réunions ont
cependant lieu, elles risquent de dégénérer en affrontement, ou en discours désabusés , plaintifs donc
démobilisateurs ou encore en un consensus mou !
Ce mécanisme de rétention peut être actif au sein d’une même équipe ou entre institutions (services
sociaux, justice, école….) Il se retrouve souvent en miroir chez les « encadrants », qui peuvent
déplorer, à la fois les réticences à coopérer , mais aussi, en rester au statu quo plutôt qu’affronter,
divergences et éventuels conflits !
Enfin, la résistance à la formation continue est l’un des effets plus lointains des affects inconscients
et cependant actifs. Cette résistance est généralement peu analysée !
On a déjà observé deux types de pratiques opposées chez les professionnels : il y a ceux qui évitent au
maximum toute possibilité de formation susceptible de les impliquer et de les déstabiliser , et ceux
qui utilisent au maximum toutes les possibilités de formation comme un moyen d’échapper pour un
moment, à la dure réalité du terrain !
Mais au sein des formations elles-mêmes, peuvent se développer des attitudes tout aussi contreproductives
: soit le modèle proposé constitue une sorte de blessure narcissique et est rejeté en bloc
dans un mouvement fait de découragement et de fermeture « alors on est tous nuls »! Soit le modèle
est perçu comme évident, parfait, idéalisé et devient inaccessible « chez nous c’est différent, c’est
impossible »
Que dire encore de cette difficulté a organiser des formations continues- et pas de simples journées !
–entre professionnels de plusieurs Institutions ? alors que le partenariat est inscrit dans tous les
textes !
Que ce soit dans les formations ou au cours des synthèses, un autre mécanisme plus sournois est
également à l’oeuvre : la plainte ! la plainte douloureuse, profonde, enkystée du parent en souffrance
est souvent reprise par le professionnel lui-même et dommageable pour le travail en réseau :
-plainte contre cette famille qui ne bouge pas assez vite !
-plainte contre cet enfant qui reproduit dans sa famille d’accueil les relations violentes sur lesquelles
il s’est construit !
-plainte contre lui-même, ses limites professionnelles
-plainte contre les collègues, la hiérarchie, les moyens, l’institution mais aussi les autres institutions !
Enfin , chacun connaît les effets dévastateurs pour la continuité des actions et leur indispensable
évaluation, des multiples congés pour maladie, du « turn-over » qui s’accélère et des tentatives de
« sortie » vers d’autres activités plus à distance :enseignement, recherche, reprise d’un cursus
universitaire…..autant de solutions pour échapper au doute , à la souffrance et à l’usure !

 

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9-Des solutions !

Aujourd’hui les professionnels commencent à réexaminer leurs pratiques et acceptent l’idée des
surviolences imposées aux familles, aux enfants, et entre eux. Bien que l’évaluation ne puisse être
réductible au contrôle, elle est encore trop souvent perçue comme une atteinte à la légitimité d’une
institution, d’un corps de professionnels ou de la personne du professionnel elle-même.
Un long travail reste à faire pour délier cette résistance de la souffrance normalement ressentie par tout
être humain, lors des relation violentes d’un enfant avec ses parents ! Les professionnels y sont alors
doublement exposés !
Six axes de travail peuvent cependant être proposés, à partir des points de blocage observés, et faire
l’objet de recommandations . Celles-ci en désordre :
1-une formation à une culture de la recherche à donner dans tous les instituts et centres de formation
initiale (travailleurs sociaux, médecins, magistrats, enseignants…..) Il ne s’agit pas de former des
chercheurs mais, de développer plutôt un esprit de recherche fait d’observations et de questionnements
( dossiers antérieurs et études rétrospectives)
2–des formations continues spécifiques pluri-institutionelles des professionnels de la protection de
l’enfance, et au plus près du secteur géographique.( Cahors )
3–des évaluations initiales et continues, obligatoirement pluri-disciplinaires , avant toute décision, sauf en cas de danger immédiat et vital de l’enfant . Seul un doute « bien fondé7 » et partagé peut
contrebalancer le « trop de conviction » !
4–un soutien et une analyse des réactions émotionnelles, en groupe ou individuellement, extérieur aux
services. Martine Lamour8, recommande pour sa part la mise en place « d’espaces de rencontre
interdisciplinaires »qui ne soient pas cependant des lieux d’analyse sauvage, mais plutôt des espaces de
« supervision » du réseau
5–une attention particulière à l’étude des « parcours » des enfants « protégés » c’est à dire à l’évaluation
sur le long cours des mesures prises pour eux. Ceci suppose des dossiers qui ne comportent pas
seulement des documents administratifs, mais également les rapports écrits des évaluations successives.
Patrick Mauvais(9 )insiste encore sur les risques de la mémoire qui peut ne retenir que les aspects les plus spectaculaires ou anecdotiques empêchant l’observation d’une évolution positive comme d’une
détérioration
6-Le soin a apporter à l’étude des parcours10 des enfants devrait conduire tous les professionnels qui
accueillent les enfants séparés de leur famille à les aider à recueillir eux-mêmes la chronologie de leur
histoire (album de vie- Saint-Mihiel, Meuse )


7 Crivillé, A « Accueillir la parole de l’enfant » La Lettre de la Fondation pour l’Enfance N° 48 2005
8 Lamour, M « Séparations précoces :rapt, échec, ou soin ? » Erès 2003
9 Mauvais, P « L’observation partagée : une culture commune à l’ensemble des acteurs du social » Edit ANPASE 1998
10 Gabel, M « De la connaissance de son parcours à l’album de sa vie pour l’enfant accueilli » Fleurus 2005

7 –conduire en urgence une réflexion volontariste sur la déferlante médiatique qui met en cause les
professionnels , au premier rang desquels les travailleurs sociaux

C’est en dehors des « affaires » , qu’un
nécessaire travail médiatique et pédagogique autour de la Protection de l’enfance devrait être favorisé :
apprendre « a manifester leurs compétences dans l’espace public »11 et ceci en dehors des moments
sensibles des « affaires » Qui peut parler des angoisses des professionnels devant la séparation d’un
enfant, sinon eux-mêmes ? A la condition qu’ils s’intéressent à « l’enfant qui reste en eux » pris dans ces
liens familiaux !
C’est à cette réflexion que je vous invite et pour terminer , j’aimerais citer un extrait d’un poème de
Andrée Chedid( 12 ):

 

11 Meyer, V « Interventions sociales et médias » Thèse de Doctorat Université de Metz 1998
12 Extraits de « Poèmes pour un texte » Flammarion 1991 Cité dans l’album de vie


« Jusqu’aux bords de ta vie
Tu porteras ton enfance

2014 11 11 162326
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses pleurs
Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant chemin »

Marceline Gabel

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